Article Le Figaro : Les maires en première ligne face à l’hécatombe due aux noyades en France

Les maires en première ligne face à l’hécatombe due aux noyades en France

Par Athénaïs Mulsant

Le 21 juillet 2025 à 10h421

Le maire est tenu à des obligations de moyens pour faire savoir à ses administrés le danger encouru.
Le maire est tenu à des obligations de moyens pour faire savoir à ses administrés le danger encouru. PHOTOPQR/LA MONTAGNE/MAXPPP

Alors que les incidents se multiplient à la faveur du réchauffement climatique, avec 109 décès relevés sur le seul mois de juin, les édiles peuvent voir leur responsabilité pénale engagée.

En cette fin d’après-midi du 4 juillet, Florian, un jeune homme de 17 ans, se baigne avec une dizaine d’adolescents dans le plan d’eau du Mesnil-Saint-Martin (à Chambly, dans l’Oise), un site grillagé, interdit à la baignade et non surveillé. Pris d’une crampe, ce joueur de football de l’association sportive locale appelle à l’aide, avant de se noyer. Les pompiers ne repêcheront son corps sans vie que deux heures plus tard.

En ce début d’été caniculaire, des tragédies du même genre se multiplient partout dans le pays. Le 3 juillet, c’est un adolescent de 16 ans qui a perdu la vie après s’être noyé dans le lac du domaine des Messires, à Herpelmont, dans les Vosges. Là aussi, la baignade était interdite et la zone non sécurisée. Le 24 juin, le corps d’un jeune homme du même âge était repêché dans le Tarn, au nord-est d’Albi, un lieu réputé pour la baignade, pourtant interdite.

Entre le 1er juin et le 2 juillet 2025, en un mois seulement, 109 décès ont été causés par des noyades, selon le bulletin de Santé publique France, paru ce vendredi 11 juillet. Soit une augmentation de 58 % par rapport à la même période en 2024.

«Il ne suffit pas de dire que c’est interdit pour que le maire soit protégé en cas d’incident »

Ces comportements à risque sont la hantise des maires, qui, en plus de pleurer la perte de leurs administrés, peuvent en être reconnus responsables. Selon le code général des collectivités territoriales (CGCT), en effet, le maire « exerce la police des baignades et activités nautiques » et il lui incombe donc de « réglementer et de contrôler l’activité des baignades ». Même en cas d’interdiction claire, la responsabilité pénale de l’élu peut être engagée s’il est démontré qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour prévenir l’accident.

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Été 2025 : recrudescence des baignades en zones interdites. Phil Noble / REUTERS

Certes, comme le précise l’article L.2213-23 du CGCT, le maire « délimite une ou plusieurs zones surveillées (…) et détermine des périodes de surveillance. Hors des zones et des périodes ainsi définies, les baignades et activités nautiques sont pratiquées aux risques et périls des intéressés ».

Mais, pour Joël Balandraud, président de l’association des maires de la Mayenne, « il ne suffit pas de dire que c’est interdit pour que le maire soit protégé en cas d’incident ». En effet, le maire, en tant que responsable des activités de police dans ces zones, est tenu à des obligations de moyens pour faire savoir à ses administrés le danger encouru. C’est à lui qu’incombe « le soin de prévenir (…) les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature », y compris dans des lieux interdits d’accès.

L’édile porte donc une lourde responsabilité, mais ne peut pas être tenu pour responsable de tous les comportements dangereux de ses administrés. Anthony Quevarec, avocat spécialiste en droit public, rappelle que la « faute exonératoire », soit la faute de la victime, peut être retenue par le juge lorsque le baigneur commet une imprudence flagrante. En Martinique, la commune de Sainte-Anne, initialement condamnée le 6 décembre 2019 à indemniser une mère pour la noyade de sa fille, a finalement été reconnue non coupable par la cour administrative d’appel de Bordeaux, le 2 février 2023. La victime « ne savait pas nager et (…) s’est mise à l’eau juste après le passage d’une tempête tropicale », a estimé la justice.

Malgré tout, Joël Balandraud considère que pour éviter tout risque de poursuites « il vaut mieux prévenir que guérir ». Pour lui, « l’idéal serait de mettre en place des mesures pour empêcher l’accès physique à ces lieux ». Un principe qui se heurte aux réalités du terrain : « mettre des barrières sur plusieurs kilomètres, c’est financièrement impossible », commente Daniel Lombardi, maire d’Yvoy-le-Marron (Loir-et-Cher), une commune de Sologne dotée d’un étang communal.

« Bien que la loi prévoie des amendes en cas d’infraction, ces sanctions restent, dans la pratique, largement théoriques », poursuit Joël Balandraud. Pour être appliquées, en effet, il faudrait que ces zones naturelles soient en permanence surveillées – un luxe que la plupart des communes ne peuvent s’offrir. « On n’a pas les moyens de payer des policiers pour qu’ils surveillent des étangs », confie Daniel Lombardi.

Crise des vocations

Sécheresse, orages, intempéries… En période estivale, les zones de baignade ne sont pas les seuls défis auxquels les maires doivent faire face. La mairie de Changé, dans la Mayenne, en a récemment fait les frais. Le 2 juin 2025, elle a été condamnée en première instance à 49 000 euros d’amende pour des faits remontant au 26 mai 2018. Cet été-là, l’accès aux parcs et aux jardins de la commune avait été interdit à la suite d’une alerte météo. En dépit de cette interdiction, une famille s’est aventurée dans un parc et la chute d’un arbre a entraîné la mort de Fatima, 6 ans. En 2025, la mairie a donc été condamnée en raison de l’absence de signalisation et de dispositif pour fermer l’accès au site. « Il s’agit là d’une carence fautive », commente Alexandra Aderno, avocate en droit public exerçant au sein du cabinet Seban.

Alors que le métier souffre déjà d’une profonde crise de vocation, la multiplication de ces risques juridiques n’incite pas à l’optimisme, à moins d’un an des élections municipales.

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  1. Article publié intégralement avec l’aimable autorisation de l’autrice, Madame Athénaïs Mulsant ↩︎